Je suis... ?

La littérature jeunesse, en réponse aux attentats. Parce que nous sommes vivants.
                Il y a deux semaines maintenant, des attentats d’une violence effroyable ont eu lieu en France, à Paris. J’ai eu du mal, et j’ai surtout peur de mettre les mots sur cette boucherie sans nom. Beaucoup l’ont fait, beaucoup ont essayé, avec plus ou moins de prestance. Je n’ai pas le même courage, et pas la même force, alors même que cet hiver est déjà parfois trop rude pour moi. Alors voilà, le cœur y est, la tête aussi, mais les mots sont difficiles à trouver.
                Juste après les attentats, avec ces images du Bataclan en tête, impossibles à oublier, je me suis posé face à ma bibliothèque. J’ai attrapé, dans mes mains encore froides, le livre d’Anne-Laure Bondoux, Tant que nous sommes vivants. J’en ai déjà beaucoup (trop ?) parlé, mais c’est un roman qui continue de vivre en moi. En ces jours difficiles, j’ai eu besoin de retourner dans l’hiver enneigé mais chaud de Bo et Hama. Pourquoi ? Parce qu’en temps de guerre, en temps de peur, en temps de deuil, on a besoin de retourner chez soi, on a besoin de mots familiers. Ce livre me donne un peu cette impression, tendre et nostalgique, de vivre un peu plus vivement.
                Je me le réapproprie tout doucement. Il traîne, sur la table, ou près de mon lit, ou entre trois autres romans qui viennent le remplacer, quelques heures loin de lui. Mais il est là, juste à côté. C’est un peu comme s’il veillait sur moi.
Entre temps, je suis allé au cinéma, pour participer au marathon Hunger Games et découvrir la fin tant attendue de la saga. Dernier opus incroyable, avec des acteurs au jeu intense et une réflexion sous-jacente intéressante. Un chapeau bas particulier à Donald Shuterland pour ce personnage désenchanteur mais enchantant et à Jennifer Lawrence pour ce jeu toujours sans faute. Néanmoins, malgré ce final jouissif, il reste ce sentiment doux-amer, celui qui résonne dans notre esprit meurtri. Sans le vouloir, Hunger Games et sa violence, ses armes et sa révolte, font un écho acide aux attentats du 13 novembre. Finalement, la versatilité et l’âpre caractère des hommes est-il inévitable ? Dans une société comme celle-ci, où l’image et le divertissement sont pointés du doigt, on ne peut que s’accrocher à la révolte, à cette bataille contre un ennemi opprimant. Est-il le bon ? Que combat finalement Katniss ici ? Pas seulement sa peau. L’espoir de tout un peuple. « La mémoire collective est généralement de courte durée. Nous sommes des êtres versatiles, stupides, amnésiques et doués d'un immense talent d'autodestruction. »  Pourtant, c’est à un jeu bien plus apaisant que nous propose Katniss à la fin du film. Celui d’une résilience. Ça a son coût, mais aussi sa valeur.
Le film s’est terminé sur les pleurs d’une amie. Elle ne pleurait même pas pour le film mais pour cette violence inouïe qui, loin d’avoir été inventée par Suzanne Collins ou Francis Lawrence malheureusement, nous a tous frappés il y a deux semaines. C’est celle de tous les jours, en France ou ailleurs. Moi, mes larmes, je les ai taries. Au milieu d’une foule compacte, se taisant dans les larmes, un lundi de novembre. On s’est tus pour nos morts. On s’est tus pour laisser couler la peur. On s’est tus pour nos blessures. Je ne sais pas où sont partis ceux qui ne sont plus là, mais espérons qu’ils aient pu trouver la paix qu’on leur a volé ce soir-là.
Quand nos yeux perdent de leur éclat meurtri, on peut se reposer, s’apaiser, réfléchir. On a touché à notre jeunesse, on a touché à nos symboles, mais on a aussi été touché pour d’autres raisons qui nous échappent ou surtout qu’on oublie. Comme le montre très bien Hunger Games ou Tant que nous sommes vivants, on est loin d’être manichéens, noir ou blanc. Tâchons de ne pas l’oublier. Tâchons aussi de laisser chacun faire son deuil, de tarir son chagrin – dans une photo Facebook, un texte plus ou moins bien écrit ou un hommage tout autre. Bien d’autres attentats ont lieu, partout dans le monde, mais celui-ci nous questionne, parce qu’il nous a touché directement. Voilà aussi pourquoi on s’agite coléreux, on pleure pour des morts qui ne nous concernent qu’un peu plus que ceux de la Syrie ou ceux de tout autre pays. Sachons en faire ressortir des réponses, des solutions, des idées de paix internationale.

                Tant que nous sommes vivants, qui me fait de l’œil, ce soir après ciné, sur ma table de nuit, rappelle que les mots savent panser les plaies. Toujours on vacille, toujours on tombe, mais toujours on se relève dans cette BoHème délicate. « Tu crois qu’il faut toujours perdre une part de soi pour que la vie continue ? » lance Hama à Bo, au bord de la rivière. Je n’ai pas la réponse, mais faisons en sorte que cette part qui est tombée sous les balles ne le soit pas pour rien.  « Nous aussi on va tomber. On aura des bosses et des bleus. Mais on trouvera le bon équilibre. »
                En fait, en me replongeant dans cette histoire universelle et sensiblement introspective, je redécouvre ma vie, mes espoirs, mes peines et mes envies, sous un jour différent, doux. Cet optimisme fou même dans les plus grandes peines, a la capacité de me rassurer, mais plus encore espérer. De satisfaire aussi ce cœur un peu fleur bleu d’une façon simple et jamais égalée. « Pourtant, au milieu de ce renoncement général, certains eurent l'audace de tomber amoureux. Les plus fous d'entre eux s'aimèrent. Bo et Hama furent de ceux-là. »
                On a le temps, prenons aussi le temps de l’utiliser d’une manière profitable. La littérature rêve de mots qui sont armes, rêvons d’abord de mots qui nous pansent. Cherchons d’abord ceux qui nous aident à nous construire, à nous instruire. Prenons le temps de vivre aussi. La meilleure réponse est la vie, l’éducation, le bras levé, la voix qui porte.
                Cette question du temps qui nous importe, on la retrouve dans l’incroyable album Cinq minutes et des sablés. Avec le texte saisissant de douceur et simple de nostalgie, Stéphane Servant sert l’illustration tendre et colorée de Irène Bonacina. Les deux se croisent et questionnent le thème du carpe diem et celui d’un bonheur assez simple. « Cinq minutes de plus ou cinq minutes de moins, quelle importance ? » Intelligemment, un fil rouge traverse les illustrations, tandis que la Petite Vieille et Madame la Mort venue la chercher dansent et s’amusent avec le village, (« Ça faisait si longtemps qu’elle n’avait pas ri ! »). Le chat, à notre image, continue de poursuivre ce fil du temps, rouge, et infini.
                L’espoir est réinvesti dans cet album, avec finesse. On essaie de se l’approprier, pour continuer d’être, comme veut le faire, je l’ai déjà dit, Tant que nous sommes vivants. Anne-Laure Bondoux nous rappelle la fuite, le voyage, les levers de soleil et les naissances. Mais elle nous rappelle aussi nos guerres, nos horreurs et nos peines. Nos douleurs, notre dureté et nos massacres. Notre cruauté. Faisons en sorte de garder le meilleur, comme Bo, Hama et les autres personnages le font. Faisons en sorte de nous battre aussi, pas seulement de vivre, pas seulement d’être, mais de permettre aux autres de le faire. Je ne sais pas comment, mais c’est pour ça qu’on doit aujourd’hui chercher les réponses. Faisons en sorte que tout ne soit pas vain. Parce qu’il « arrive toujours un moment où nos guerres, comme nos histoires, s’achèvent. »

 « Ce vide, nous le portions à l’intérieur de nous, comme un vertige permanent. »
Tant que nous sommes vivants (et d’une autre manière Hunger Games ou Cinq minutes et des sablés) m’a répondu avec une grande justesse et une très belle douceur quant à la question des attentats de Paris. Il y a la catastrophe, la guerre, les pertes, les désillusions, les peurs et les blessés… Mais toujours cet espoir, cette notion de résilience. Ce sentiment qu’il faut savoir perdre, lâcher ce poids, porter ce vide, pour repartir plus léger et trouver notre semblant de paix.
Face au vide incroyable que nous avons à porter, la littérature a des réponses que nous devons trouver. Elle transpire de nos rêves que nous faisons du monde, respire de nos espoirs que nous cherchons à vivre. Commençons par nous panser nous-mêmes, avant de panser le reste. Aujourd’hui, je ne sais pas qui je suis, Charlie, Paris, Mali ou Syrie, mais je sais qui je veux être. Et ce sera debout, souriant, lecteur. N’ayons pas peur, et essayons tant bien que mal d’être ces hommes dignes dont la littérature rêve.

Commentaires

  1. J'avoue qu'il est difficile de décrire les attentats qu'il y a eu... Chose certaine, nous sommes de tout coeur avec vous au Québec!

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