"Vous avez choisi d'être écrivain, non ? Alors assumez !"

                 Et je danse, aussi, est né d’un simple mail dans une boîte électronique. Jean-Claude Mourlevat, en panne d’écriture, propose à Anne-Laure Bondoux, alors tout juste sortie d’une « pétole », un jeu littéraire amusant. Il veut écrire -avec elle, lui dit-il au détour d’un bureau d’éditeur. Quelques jours plus tard, Anne-Laure Bondoux reçoit ce mail dans sa boîte, adressé à une certaine Adeline Parmelan… Six mois d’écriture commencent alors, sous le signe des poussins et de l’écriture. Retour sur une conférence donnée à Mollat le mois dernier, par ces deux auteurs, et sur un roman haut en couleurs, qu’est Et je danse, aussi.

Entre fiction et réalité

                La « pétole », qu’est-ce que c’est ? Jean-Claude Mourlevat en parle dès le début de la conférence, comme son personnage en parle dès le début de son échange avec Adeline Parmelan, fidèle lectrice dont il vient de recevoir une étrange enveloppe. Fidèle lectrice ? En effet, Jean-Claude Mourlevat se place, dès le départ, dans la peau d’un écrivain célèbre : Pierre-Marie Sotto, illustre auteur ayant reçu le Goncourt. Or cet écrivain là, est dans une phase de « pétole », comme l’était Mourlevat (ou Bondoux) au début de l’écriture du livre. Dans le milieu nautique, la pétole est une mer plate, un calme vide : il n’y a plus aucun vent, et on avance plus. Belle métaphore de la page blanche, transposée à la mer aussi plate qu’une feuille ou qu’un écran d’ordinateur. Et c’est dans cette ambiguïté que se glissent tout le long Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat : un brin de vérité, beaucoup d’invention, et l’impossibilité de distinguer le vrai du faux entre les lignes. Quand ils se parlent de telle ou telle chose, est-ce autobiographique ou purement inventif ? Le début de l’histoire place dans une relative ressemblance avec son personnage Jean-Claude Mourlevat, mais très vite, il s’en éloigne, il invente, et Anne-Laure Bondoux s’y met à son tour. Avec beaucoup d’ingéniosité, ils construisent un roman épistolaire au départ simple, mais finalement d’une grande complexité. Entre les allers et retours dans l’intrigue, et les différents personnages qui vont s’en mêler, difficile à croire que presque tout a été écrit sans construction, sans plan, sans concertation de leur part. Et difficile d’y distinguer ce qui est purement fictionnel. Mais est-ce vraiment nécessaire ?

Le jeu … littéraire ou non ?

                Ce livre, avant tout correspondance, est un jeu. Ils se cherchent, se relancent l’un et l’autre dans l’écriture… à travers des personnages colorés, originaux, et chamailleurs. C’est ce que l’on voit, aussi, dans leur discussion à Mollat : un vieux couple d’amis qui se chamaillent, se cherchent, plaisantent, et se complètent. Leur idée de départ n’était pas un roman, mais l’envie d’écrire à deux pour s’aider dans une phase difficile. Et finalement, ils se sont pris au jeu. Anne-Laure Bondoux ne pouvait plus écrire son roman en cours (Tant que nous sommes vivants), raconte-t-elle, trop impatiente de recevoir une réponse de Pierre-Marie Sotto. Ils attendaient, l’un et l’autre, leur réponse, jusqu’à ne plus savoir s’ils étaient alors personnages ou auteurs, auteurs ou lecteurs, comme l’explique Mourlevat. C’est là que le jeu révèle toute son efficacité et sa profondeur.

                Mais à partir de quand cela devient-il un roman ? demande Véronique Durand, libraire à Mollat. Jean-Claude Mourlevat avait dès le départ pour idée de le destiner à un éditeur, et un public. Pas Anne-Laure Bondoux, qui restait dans ce jeu, cette envie de rire et de lier quelque chose de particulier avec quelqu’un pour se persuader que l’écriture a encore ses forces et ses valeurs. C’est ce que roman montre, avec brio, nous en reparlerons. On voit aussi cet amusement, cette frivolité, à travers leurs échanges à Mollat, quand l’un dit à l’autre « muffle ! », ou « Restons sérieux, s’il te plaît, c’est un débat littéraire. » Chacun, dans ce jeu, s’est amusé, et c’est cette légèreté qu’on retrouve dans leur roman. Ils jouaient, en lecteurs/auteurs/personnages, à s’imposer des morceaux de vie, à s’en détourner, à se piéger.

                Dans cette ambivalence fiction/réalité que nous évoquions, et dont les deux auteurs ont joué, la « personnagification » s’en mêle. L’un le fait pour l’autre, ce processus de transformer l’autre en personnage de roman, en personne assez aventureuse et drôle pour la raconter. Adeline Parmelan même réprimande Pierre-Marie Sotto pour cela, alors qu’elle est bien, elle, un personnage de roman. En effet, aucune communication autre, ou presque, n’a lié Mourlevat et Bondoux durant l’écriture, et il fallait qu’ils démasquent eux-mêmes ce qu’ils se disaient à travers leur fiction. Finalement, leur premier but était de s’aider à passer ce cap… le jeu est-il donc réussi ?

« On a laissé beaucoup de poussins en route. »

                Si cette phrase sonne comme mélancolique, c’est parce qu’ils le sont eux aussi un peu. Il y a un vide affectif, un sentiment d’être abandonné qui reste à la fin de l’écriture, expliquent-ils tous les deux. Finalement, ce jeu est bel et bien devenu littéraire, et il a réussi : on a un roman ; ce à quoi Jean-Claude Mourlevat, comme Anne-Laure Bondoux, ne parvenait plus. Il est léger et hilarant, complexe et étourdissant d’humour et de couleurs, mais aussi juste et vrai. 

On décèle, entre les mots, toute l’honnêteté d’une correspondance destinée à être privée : il y a des passages durs et touchants, qui viennent ajouter à l’épaisseur émotionnelle du récit à plusieurs voix… Ils sont plein de délicatesses et d’amour, de sentiments colériques, déçus ou éteints.

                En fait, Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat écrivent un roman épistolaire juste et sincère, qui se veut léger, parfois dur, mais toujours « bienveillant », ajoutent-ils à leur conférence. C’est dans cette parallèle réalité/fiction que se joue tout l’intérêt du livre. Car c’est avant tout un livre qui part de l’écriture et de sentiments réels, et qui en parle, en utilisant tout le pouvoir de leur imagination. C’est un roman doux et profond sur la littérature, sur l’écriture et ses méandres, comme ses valeurs. Qu’est-ce que m’apporte l’écriture ? Qu’est ce-ce que m’apporte l’Autre ? Une chose est sûre : ce roman apporte beaucoup plus qu’on ne pourrait le croire. L’écrit est facétieux, aux multiples facettes, parfois sensible, mais toujours vivifiant. 



« Vous avez choisi d'être écrivain, non ? Alors assumez ! Soyez écrivain dans le silence et le désarroi, soyez écrivain sans un mot, sans une virgule. Vivez cette souffrance avec autant d’intensité que les instants grisants qui vous manquent : c’est le prix à payer ! » p19



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Par Jean-Claude Mourlevat et Anne-Laure Bondoux
Aux éditions Fleuve
280 pages
18€90




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Commentaires

  1. Je l'ai lu aussi avec délectation mais il y a aussi un pan que tu omets : ce jeu de la séduction entre adultes, tellement bien réussi que je me demande encore si les deux auteurs ne sont pas ensemble dans la vraie vie.

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    1. Oui tu as raison, je m'en excuse ! Mais ils ne sont pas ensemble (Jean-Claude Mourlevat a dit : même si Anne-Laure aimerait bien ! Haha !)

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  2. J'ai entendu parler de ce livre à sa sortie mais je n'y avais pas prêté plus attention que ça et ton article me donne vraiment très envie de le découvrir à mon tour ! Un de plus qui vient s'ajouter à ma wishlist déjà surchargée ^^

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  3. J'adore les histoires de Jean-Claude Mourlevat ! :) J'espère avoir l'occasion de découvrir ce livre (=

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    1. Et pas celles d'Anne-Laure Bondoux ? On crierait presque au crime !

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  4. Mon grand regret d'Etonnants Voyageurs cette année : ne pas avoir rencontré ces deux auteurs ! :/
    Mais je me console en me disant que j'ai le temps de lire ce livre (et Tant que nous sommes vivants) avant de les rencontrer, qui sait, à Montreuil (si ils y seront !)

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    1. Mais oui totalement !! Et je pense qu'ils seront là.

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  5. Une personne en a parlé lors du comité de lecture de l'association. Je ne connaissais pas et je me suis dit pourquoi pas. Avec ta chronique je me dis évidemment.

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    1. Quelle association ? :)
      Merci, ravi de t'avoir donné envie... j'espère que tu aimeras !

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    2. Mon libraire a créé une association (Les amis de la librairie par mots et merveilles). Grâce à ça, il a créé un prix littéraire, on fait des club de lectures et surtout on peut aller les aider sur les salons sans parler d'autres choses qu'on peut faire en plus.

      Là ils voudraient faire une brocante littéraire mais je ne sais pas où ça en est. La dernière brocante ils ont récolté 1200 euros pour une association venant en aide aux personnes handicapées. Je te mets le lien du blog : http://cabanerenard.canalblog.com/

      Franchement ils sont géniaux. Ils ne poussent pas à l'achat en plus.

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    3. Génial !! Super asso, bravo.

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