D'une seule voix... comme le souffle coupé de la littérature

Les mots comme espace temps à part entière, ébréché, unique, haletant... en équilibre intense.

                High Line, un des derniers nés de la collection, est un de ceux qui fait le plus réfléchir. Avec des mots simples mais francs, Charlotte Erlih écrit un texte touchant, qui ne nous renverse pas mais nous fait réfléchir à la vie, à cet équilibre difficile entre présent, passé et avenir, et à ce qu’on peut faire quand ça ne tient plus qu’à un fil
                Deux amis qui tirent à pile ou face. Le sort qui se scelle. Et il s’élance : c’est lui qui a été désigné pour relever ce pari fou, une corde tendue entre deux immeubles, sans plus de sécurité que l’inconscience du risque. Et il s’élance : cette passion le consume, l’a poussé à tenter cette idée folle qui lui permettrait de vivre. Et il s’élance.
                C’est d’une passion dont il est question tout au long du texte… celle qui nous construit et peut nous détruire. Charlotte Erlih raconte avec force ce sentiment puissant qui vous met en danger, vous fonde, vous émeut, vous fait devenir quelqu’un … ici c’est la passion du risque, de l’équilibre, du vide. Mais cette question en cache une autre, et révèle une vie entre plein et vide, entre un trop plein de vide et un vide à remplir… C’est la vie difficile au bord du gouffre d’un jeune oiseau perdu que l’auteure veut nous raconter. Cette euphorie qui peut nous perdre traduit le sentiment difficile d’un envol encore emmêlassé de cette vie trop cruelle… 
                Si le hasard est mis en jeu au départ, c’est parce que il est d’abord question du destin : n’est-ce pas ce dernier qui décide de nos vies ? En fait, notre héros s’en remet au destin pour mieux le défier. Il s’y confronte de plein fouet pour essayer de reprendre un peu le contrôle de sa vie : il n’a pas d’attaches, et à cet instant plus rien qu’un vide à affronter, à franchir. Il attire mais il faut y résister et avancer : personne d'autre ne doit décider de sa vie, de sa mort.
                En fait, le héros se confronte à cette ville en contrebas qui est fragile, petite, morte, triste… lui s’élève, regarde ça d’en haut et refuse cette société d’argent, de ville… il risque sa vie, veux voyager. C’est le texte sincère et droit d’une vie qui se refuse toute tracée. Une façon d’être, de naître, au monde. Car dans tout ce courage, dans toute cette force, il essaye d’avancer alors qu’il marche depuis toujours sans les attaches qu’on a, nous tous, sans origines, sans quelque chose sur quoi compter, vraiment… c’est le récit tendre et juste d’une vie qui n’a rien pour soi qu’un ami sans autres attaches…
                D’une seule voix, ce héros se livre à un dialogue avec soi-même, en une expiration de cinq minutes d’une expérience hors du commun. C’est l’histoire d’un héros qui se cherche, va hésiter, entre la vie et la mort sur ce fil dangereux. Avec des mots simples qui vont droit où il faut, parfois en perdant un peu de poésie, mais avec un rythme dynamique, Charlotte Erlih étire le temps, creuse un personnage jusqu’à ses retraits les plus terribles : vivre ou mourir ? Restera-t-il l’espoir ? Le héros se pousse lui-même en soi, dans ses retranchements, et se décide à se battre… nous incite à nous battre. A trouver notre corde qui nous guidera loin, partout, où on veut. Et finalement, le monologue se livre au même exercice que la littérature : c’est un instant, un discours débité, craché, haché, touchant, où il n’y a plus d’autre espace et de temps que les mots.

“Ici, dans les airs, à cent mètres au-dessus du sol, loin de la foule et de tout être humain, c’est le seul endroit où je ne me sens pas seul. Le seul endroit où je ne crains plus rien. Je suis si bien que je voudrais que tout s’arrête, que le temps n’avance plus, que le soleil suspende sa course, ou bien explose en nous engloutissant tous d’un coup. Brutalement. Dans un gigantesque éblouissement final.”

High Line



Par Charlotte Erlih
Aux éditions Actes Sud Junior - Collection D'une seule voix
96 pages
9 €


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